Afghanistan : le conflit fait tache d'huile...

Publié le par NPA 06 Ouest

L'administration américaine étend le conflit afghan au Pakistan, qu'elle cherche à mieux contrôler. Une stratégie de guerre contre-insurrectionnelle qui n'a pas fini de tuer des innocents. 

 


Lorsque Barack Obama a reçu le président afghan, Hamid Karzaï, le 7 mai dernier, moins de 48 heures s’étaient écoulées après la destruction par l’aviation étasunienne des villages de Gerani et Ganj Abad, dans l’ouest de l’Afghanistan. Les quelque 150 victimes n’ont cependant pas occupé outre mesure la rencontre. De surcroît, on avait pris soin d’y convier un troisième comparse, le président pakistanais Asif Ali Zardari, comme pour signifier à la planète entière que la guerre afghane est définitivement étendue au Pakistan voisin.
A tel point que c’est désormais en termes d’« AfPak War » (pour « guerre afghano-pakistanaise ») que l’on cause au Département d’Etat…


Malgré les tentatives de l’état-major US de minimiser les dégâts et d’en attribuer la responsabilité aux talibans, la destruction des deux villages est survenue sur demande de l’armée afghane, engagée dans une opération de traque d’un groupe de talibans, l’aviation a pilonné les deux villages, durant plus de deux heures, l’après-midi du 5 mai. D’après les premiers photographes accourus sur place, des scènes apocalyptiques se sont présentées à leurs yeux: maisons soufflées, bétail éventré et des cadavres par douzaines entassés sur des camions et dans des remorques agricoles. Une première comptabilité macabre basée sur les corps transportés par un paysan avec son tracteur faisait état de 127 morts. Par la suite, ce chiffre a été révisé à la hausse pour s’établir autour de 150 victimes. En revanche, l’unique hôpital de la région, à Farah, n’a comptabilisé que quatorze blessés, ce qui prouve l’intensité particulièrement importante des bombardements. 


Premier crime de guerre d'Obama 


Un ancien fonctionnaire du gouvernement interviewé par le Guardian déclare qu’on «a bombardé et brûlé des maisons pleines d’enfants, de femmes et de vieux qui avaient fui les lieux des combats». De tels massacres, qui sont, au sens des conventions internationales, des crimes de guerre, sont appelés à se reproduire. C’est le prix de la stratégie anti-insurrectionnelle inaugurée par l’administration Obama. Partant du constat que les talibans vivent parmi la population pachtoune – 42% des Afghans – comme des poissons dans l’eau, elle vise, selon des techniques éprouvées, à vider le bocal. Donc, à s’en prendre aux populations civiles. A ce titre, la récente nomination à la tête des troupes US en Afghanistan du général Stanley McChrystal, responsable durant cinq ans des commandos d’opérations spéciales – celles dont on n’assume pas nécessairement les responsabilités – ne laisse rien présager de bon. C’est dans une guerre contre-insurrectionnelle, une guerre tout-terrain qu’Obama s’engage. On sait, depuis la guerre d’Algérie, le genre «d’effets collatéraux» que de telles guerres impliquent! Et que le choix soit celui-là est confirmé par la décision présidentielle de ressusciter les tribunaux militaires spéciaux inventés par Bush et Cheney. Leur spécificité était celle de juger les dits «combattants illégaux», à savoir non conventionnels, qui ne bénéficient donc pas des protections garanties par les Conventions de Genève. En sa qualité de candidat, Obama avait vertement critiqué l’existence de ces tribunaux. Aujourd’hui, il estime qu’ils «représentent le meilleur moyen de protéger notre pays tout en respectant nos valeurs les plus profondes». 


Nouveau conflit préventif ?
 


Mais le sommet à trois du 7 mai visait aussi l’autre pilier de la politique d’Obama, l’extension du conflit au Pakistan voisin. Il s’est en effet conclu sur un double constat: si,  d’une part, on a reconnu le rôle décisif de Washington dans le conflit, de l’autre, les trois chefs d’Etat ont admis la transformation de la guerre afghane en une « AfPak War », une guerre afghano-pakistanaise. Définie par Obama comme une «menace mortelle pour la patrie» et par Richard Holbrooke, l’envoyé d’Hillary Clinton dans la région, comme «un enjeu pour la sécurité nationale» des Etats-Unis, la situation au Pakistan inquiète Washington.


David Kilcullen, consultant australien du Pentagone, la présente ainsi: «Un pays de 173 millions d’habitants avec 100 bombes atomiques, une armée aussi nombreuse que celle des Etats-Unis et l’état-major d'Al-Qaida installé dans les deux tiers du pays que le gouvernement ne contrôle pas.» D’où l’injonction faite, dans un pur rapport colonial, au président pakistanais Zardari de déclencher une offensive majeure dans les régions tribales. Les résultats sont déjà là: c’est par centaines de milliers que les gens fuient les bombardements de l’armée pakistanaise pour venir s’entasser dans les camps de réfugiés dont les télévisions nous rapportent les images dramatiques. Loin de combattre le terrorisme d’Al-Qaida, puisqu’une telle politique le renforce, l’extension de la guerre au Pakistan a aussi une fonction préventive contre ce que les observateurs estiment comme une possible et, par certains aspects, probable explosion sociale, et qui ne présentera pas nécessairement les traits de l’islamisme… 


Paolo Gilardi.
 


Article paru dans le journal L'Anticapitaliste (www.gauche-anticapitaliste.ch). 

Ganj Abad, district de Bala Buluk (province de Farah, ouest de l'Afhganistan), le 6 mai. Des villageois tentent de retrouver des survivants après le bombardement de l'armée US. (Reuters).

Publié dans International...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article