Un spectre hante l’Europe : l’extrême droite (Jean-Paul Gautier, Contretemps n°9)...

Publié le par NPA 06 Ouest

Les dernières élections européennes ont montré que dans toute une série de pays membres de l’Union européenne les extrêmes droites avaient le vent en poupe.

 

A côté de « nouveaux venus » (le BNP en Angleterre), plusieurs partis d’extrême droite qui avaient pu s’ancrer depuis quelques années renforcent leurs positions. En général ce sont plutôt des partis d’extrême droite au sens large du terme, avec des profil différents, qui s’affirment, alors que les partis souverainistes qui forment une composante de la droite conservatrice sont en net recul.

 

La situation actuelle semble donc favorable à une extrême droite qui a pris son envol électoral dans les années 1980 en Europe occidentale et, après la chute du Mur de Berlin, en Europe orientale et centrale avec l’ouverture de frontières auparavant hermétiques. En 1979, lors des premières élections au parlement européen, l’extrême droite était marginale, sauf en Italie avec le MSI. Dans les pays dirigés par des dictatures, l’extrême droite avait été intégrée dans la droite conservatrice (Portugal). Un changement s’opère au milieu des années 1980. Dans certains pays l’extrême droite amorce son décollage, à l’image du Front national de Jean-Marie Le Pen en France ou du Vlaams Blok flamand en Belgique, en Autriche, sous la direction de Jörg Haider, le FPÖ se radicalise.


La montée en puissance de l’extrême droite semble s’inscrire dans la durée. Lors des dernières élections européennes, l’abstention a atteint 57 % dans l’ensemble, et davantage dans les États de l’Est du continent. Le succès de plusieurs partis d’extrême droite est d’autant plus notable qu’ils sont souvent eurosceptiques et que leur électorat naturel est d’autant moins motivé pour participer à ce type de consultation électorale et à la construction de l’Union européenne. Le phénomène abstentionniste touche donc particulièrement ces partis (dans le cas du Front national français, 65 % de ses sympathisants ont choisi l’abstention lors de ce scrutin).

 

Les succès croissants des extrêmes droites reposent notamment sur le charisme de leurs leaders (Le Pen, Bossi, Haider, Wilders…). Tous ces mouvements présentent un point commun : le rejet de l’immigration et de l’islam, considéré comme incapable de s’intégrer au modèle culturel européen. Ces mouvements nationalistes se présentent comme les défenseurs de l’ethnicité (« la préférence nationale »), s’opposent au multiculturalisme, incarnent un fort courant xénophobe et raciste, dénoncent les élites dévoyées et entendent défendre le peuple c’est-à-dire, pour reprendre une thématique maurrassienne, le Pays réel contre le Pays légal.

 

Certains de ces mouvements, en Europe occidentale, ont rompu avec le fascisme ou ne s’en sont jamais revendiqués, d’autres développent un ultranationalisme et présentent une certaine parenté avec les partis fascistes des années 1930-1940 en Europe centrale et orientale (en Hongrie, Les Croix fléchées, en Roumanie, la Garde de Fer).

 

Cette montée des « populismes » en Europe a plusieurs causes. Tout d’abord un phénomène de rejet lié à la crise économique, comme le souligne le politologue Dominique Reynié : « Les périodes de crise favorisent les réflexes de repli, les opinions xénophobes, les sentiments hostiles à l’immigration. » A cela s’ajoute ce que l’on peut qualifier « d’extrémisme de prospérité » dans les pays comme la Suisse, les Pays-Bas, l’Italie, pour lesquels la réaction identitaire peut être alimentée par une arrivée massive – ou supposée telle – d’immigrés sur le sol national, ce qui constituerait une menace pour la prospérité économique. Phénomène classique d’une inquiétude réelle ou fantasmée que provoque l’arrivée de « l’Autre ».

 

Même si la situation économique des populations vivant dans l’Union européenne devait s’améliorer, cette montée en force de l’extrême droite dans le paysage politique européen ne saurait être considérée comme conjoncturelle.
C’est un phénomène appelé à perdurer.

 

Face à la mondialisation, à la technocratie bruxelloise, aux financiers du FMI et de la Banque mondiale, le message diffusé par l’extrême droite se veut au diapason des craintes des peuples (réflexe identitaire, défense des valeurs perçues comme menacées, réaffirmation du rôle protecteur de l’Etat-Nation, dynamisme de l’islam, immigration et, pour certains, la question turque).

 

De la Scandinavie à l’Italie, les thèmes anti-immigrés et anti-islam portés par l’extrême droite sont présents dans les urnes. Une stratégie du « bouc émissaire » s’élabore contre l’étranger, le migrant, l’homosexuel, les minorités ethniques religieuses, les technocrates, les médias, les intellectuels… Dans six pays européens, l’extrême droite a dépassé 15 % des voix lors des dernières législatives. De la Suisse à la Serbie se dessine une « banane noire ».
En Europe occidentale, l’extrême droite a participé à des gouvernements de coalition de droite (Autriche, Italie, Pays-Bas), ou leur a apporté son soutien sans y participer (Danemark). Une nouvelle génération de dirigeants est en recherche de respectabilité (Bucher en Autriche, Wilders aux Pays-Bas). En Europe centrale les mouvements d’extrême droite sont ultranationalistes et xénophobes (opposition au modèle économique occidental, aux élites compromises, au communisme et au libéralisme).

 

Pour aborder la question à la fois dans sa globalité et dans ses spécificités, il faut suivre un découpage géographique entre les pays occidentaux et orientaux, entre les pays membres de l’Union européenne et les pays non-membres et, au niveau électoral, entre élections européennes et élections nationales.

 

L’Europe de l’Ouest

 
Les partis d’extrême droite dits « populistes de droite » et xénophobes qui ont connu des expériences de soutien/participation à des gouvernementsau cours de périodes récentes sont souvent sortis renforcés au soir du scrutin européen.

 

Au Danemark, le Parti du peuple danois (DFP) a apporté son soutien au gouvernement de centre droit. Sa première entrée au parlement remonte à novembre 2001 (11 %). Après huit ans de soutien sans participation, le DFP a obtenu par son action un durcissement radical des lois sur le droit d’asile et d’immigration (interdiction des mariages avec des étrangers de moins de 24 ans). Malgré la proximité de sa tête de liste – Morten Messerschmidt – avec les milieux néonazis, le DFP a obtenu 15 % des voix lors du dernier scrutin européen.

 

En Italie, la Ligue du Nord d’Umberto Bossi a bénéficié de sa participation aux différents gouvernements dirigés par Silvio Berlusconi. Elle a obtenu 8 sièges au parlement européen contre quatre dans l’ancienne assemblée. La Ligue du Nord étend sa zone d’influence traditionnelle et remporte de nouveaux succès dans des régions de tradition de gauche (Toscane, Emilie-Romagne). En mars 2010 elle a doublé son score aux régionales et emporté la Vénétie et le Piémont. Ses succès sont dus aux thèmes développés pendant la campagne : sécurité et immigration. Son électorat mord sur les ouvriers (ex-électeurs de gauche). La dimension régionaliste et séparatiste de la Ligue du Nord s’en trouve relativisée, surtout dans les nouvelles aires d’influence au-delà du Nord industrialisé. Le scrutin s’est déroulé deux mois après la fusion de l’ex-Allianza Nazionale (post fasciste) de Gianfranco Fini avec l’ancienne formation du président du conseil, Forza Italia. Depuis l’alliance a volé en éclats et, aux yeux de Fini et son nouveau parti, Liberta e Futuro, Berlusconi est devenu l’homme à abattre.

 

Aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté (PVV) dirigé par l’islamophobe Geert Wilders est apparu au soir des européennes comme la deuxième force du pays (17 % des voix). En 2002–2003 son prédécesseur, le mouvement de Pim Fortyun, avait participé au pouvoir. La liste a implosé quelques mois après l’assassinat de son dirigeant (le 15 mai 2002). Geert Wilders a pris le relais en attirant certains anciens de cette formation. En 2006, le PVV avait obtenu 9 sièges de députés (5 % des voix). Aux municipales de mars 2010, le parti n’était présent que dans deux villes. Il arrive en deuxième position à La Haye et en tête à Almere (6e ville du pays). Les législatives anticipées de juin 2010 lui ont donné vingt quatre sièges (15, 5 % des voix). Il enregistre sa plus forte progression et se retrouve en position d’arbitre de la coalition gouvernementale. Le discours du PVV est marqué par l’ultralibéralisme et par un rejet radical de l’immigration (musulmane au premier chef). Il se prononce contre la burqa et la construction de mosquées, pour l’expulsion des étrangers, l’arrêt de l’immigration en provenance des pays musulmans, la déchéance de la nationalité néerlandaise pour les récidivistes binationaux, et pour le paiement d’une amende de 1000 euros pour le port du voile dans des lieux publics. Certains slogans du PVV et de Wilders sont particulièrement frappants : « Assez d’islam aux Pays-Bas, plus un seul immigrant musulman », « J’en ai assez du Coran aux Pays-Bas. Interdisons ce livre fasciste ». Wilders n’hésite pas à comparer Le Coran à Mein Kampf. Il exerce une forte influence sur l’actuel gouvernement. Ainsi le Premier ministre hollandais a promis d’interdire le port de la burqa, de réduire l’immigration et l’aide aux pays pauvres et de dissuader le regroupement familial.


En Autriche, l’extrême droite a participé au gouvernement en 2000-2006. Cette expérience s’est traduite par un échec. Le Parti de la Liberté (FPÖ) a connu à l’époque de Jörg Haider (décédé en 2008) une importante scission avec la naissance du BZÖ (Alliance Avenir Autriche) qui a surtout un ancrage régional en Carinthie (ancien fief de Haider). Aux élections européennes le FPÖ a frôlé la barre des 13 %, et le BZÖ a obtenu 4, 6 %. Ces résultats représentent un succès pour les deux formations, d’autant que leur électorat participe moins à ce type d’élection. La campagne a porté sur le refus de « l’adhésion de la Turquie, et d’Israël à l’Union européenne» et pour « l’Occident entre les mains des chrétiens ». Le 10 octobre, lors des élections municipales et régionales, Heinz-Christian Strache, nouveau patron du FPÖ, a obtenu 27 % à Vienne, résultats salués par Minute du 20 octobre 2010 comme un « vote clairement ethnique à Vienne ». En 2005, le parti n’avait récolté que 15 % des suffrages dans la capitale autrichienne. Le FPÖ retrouve ainsi pratiquement son score de 1996 (27, 9 %) et de 1999 aux législatives précédant son entrée au gouvernement. Strache a structuré sa campagne autour de slogans hostiles aux Turcs : « Vienne n’est pas Istanbul. » Il a réclamé un référendum visant à interdire la burqa, le port du voile dans les lieux publics et l’interdiction des minarets. Pour s’adresser aux jeunes, il a fait distribuer une BD dans laquelle il endosse le costume de « Super Strache » contre les méchants islamistes. Le FPÖ apparaît ainsi en capacité de revenir au pouvoir.

 

En Belgique, le parti Vlaams Belang de Filip Dewinter (12 sièges au parlement national) est longtemps apparu comme la première force politique en Flandre, même s’il a été isolé par une politique de « cordon sanitaire ». L’évolution de la situation en Belgique, le risque de partition entre Flamands et Wallons a changé la donne. En 2007, la création d’une nouvelle force politique, populiste et anti-immigrés, « la Liste Dedecker » (LDD), a contenu le Vlaams Belang qui a enregistré un revers, passant de 24 % aux élections régionales flamandes à 15 % au dernier scrutin européen et régional. La LDD dénonce le cordon sanitaire qui frappe le Vlaams Belang et se déclare favorable à une future coopération avec ce parti. Face à la crise de l’État central en Belgique, qui menace le pays d’éclatement, l’extrême droite flamande est favorable à une sécession sur fond de nationalisme régional.

 

Dans les pays scandinaves, la Norvège n’est pas en reste. Le Parti du Progrès, dirigé par Siv Jensen, dénonce « une islamisation rampante ». Aux élections législatives de 2009, il a obtenu 23 % des suffrages et envoyé 41 députés au parlement national. De son côté, le parlement norvégien s’oppose à la construction d’une mosquée au nord du pays, financée par un Saoudien. L’argument avancé par le gouvernement pour justifier ce refus repose sur le principe de réciprocité religieuse. Oslo dénonce les restrictions à la liberté de culte en Arabie saoudite, où la tentative d’établir une communauté chrétienne est considérée comme un crime. Quant à la Suède, les Démocrates suédois de Jimmie Akesson viennent d’envoyer 1 député au parlement suédois et les violences à l’encontre des immigrés augmentent.

 

En Finlande, à quatre mois des législatives d’avril 2011, le Parti des vrais Finlandais est en train de bousculer le paysage politique en agitant la crainte des étrangers, en particulier les immigrés somaliens (7100 sur 53 millions d’habitants). Un récent sondage lui attribue 15, 4 % des voix. Le parti, qui végétait depuis une quinzaine d’années, a percé lors des européennes en 2009. Il a prospéré sur fond de crise de la dette grecque, il a profité du scandale du financement des partis politiques qui a entraîné la démission du chef du gouvernement finlandais et a fait de la présence des étrangers, considérée comme une menace pour la société, une question centrale du débat politique finlandais.

 

En Allemagne, l’extrême droite organisée en partis est sortie laminée des élections européennes, alors que de 1989 à 1994 les Republikaners (Reps) de Franz Schöhuber (alliés à Jean-Marie Le Pen) avaient obtenu 7 % des voix. Deux listes concurrentes étaient en présence aux dernières européennes : les Reps (1, 3 %) et l’Union du peuple allemand DVU (3 %). Ces deux listes, en réalisant des scores inférieurs à 5 %, ont trouvé portes closes à Bruxelles. La faiblesse de ces résultats tient en partie à l’émiettement de ce courant en plusieurs groupuscules rivaux (Reps, DVU, NPD, Parti national démocrate allemand) et à la faiblesse de sa structuration. Un récent sondage indique cependant que la moitié des Allemands se déclarent favorables aux thèses islamophobes soutenues par Thilo Sarrazin (social-démocrate) dans son essai, L’Allemagne se détruit. Le 16 octobre 2010, Angela Merkel constatait que « le multiculturalisme a totalement échoué ». Un nouveau parti a vu le jour, le Parti de la Liberté (Die Freiheit) fondé par René Stadtkewitz, exclu de la CDU. Ce parti se prononce pour l’interdiction du voile, la fermeture des mosquées, la réduction des aides sociales pour les musulmans. Stadtkewitz est soutenu par Geert Wilders. Ce parti se concentre sur Berlin mais ambitionne un développement national.

 

En Grande-Bretagne, le British National Party (BNP) de Nick Griffin, créé en 1982, enregistre, après des succès locaux, ses premiers succès au niveau national, frôle les 7 %, envoie à Bruxelles 2 députés et obtient un temps de parole à la BBC. Il participe à l’Alliance européenne des mouvements nationaux dirigée par Bruno Gollnish. Le BNP a mené une campagne contre la classe politique corrompue, sur le thème : « Punish the pigs ! » (« Punissez les porcs ! ») et « Tous pourris ! ». Le BNP, nationaliste et raciste, a su tirer profit de la campagne « British jobs for british workers » (« des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques »), présente dans certains conflits sociaux récents.

 

En France, le Front national a reculé lors des européennes avec une moyenne nationale de 6, 34 % (9, 81 % en juin 2004) et 3 élus (Le Pen père et fille et Gollnish). Tassement relatif mais réel dû surtout à l’absence de dynamique militante, aux multiples dissidences et divisions (Nouvelle droite populaire de Robert Spieler, Parti de la France de Carl Lang, Maison de la vie puis Europe de la vie de Jean-Claude Martinez) et à des listes présentées ou soutenues par le Bloc identitaire : Ligue du Sud avec Jacques Bompard (ex-FN, ex-villiériste, et maire d’Orange), Ligue du Midi. Lors des dernières élections régionales, le FN s’est refait une santé en atteignant 11, 7 %.

 

En Suisse, une attention toute particulière doit être portée à l’Union démocratique du centre de Christoph Blocher et Oscar Freysinger. L’UDC a obtenu 62 sièges au parlement national, devenant le premier parti de la confédération. Le 28 novembre 2010, l’UDC, vainqueur du référendum interdisant les mosquées, a enregistré un nouveau succès (52, 9 %) lors d’un nouveau référendum, en faisant adopter une loi interdisant le droit de séjour aux étrangers condamnés pour meurtre, viol, trafic de drogue, effraction, traite d’êtres humains, brigandage. Cette loi est désormais inscrite dans la constitution helvétique. Les condamnés seront frappés par une interdiction de séjour sur le territoire suisse de cinq à quinze ans. Le député Oscar Freysinger, en pointe lors de cette campagne, a déclaré : «Nous sommes capables de résister à tous les envahisseurs […], nous combattons les immigrés déstabilisant la société. » Grâce à cette loi, la Suisse pourra ainsi « se débarrasser des criminels importés en trop grand nombre ». Les affiches de l’UDC, dues au publicitaire Alexander Segert, faisaient le lien entre crime et immigration : « Samir dealer et bientôt Suisse, Ivan violeur et bientôt Suisse »… L’UDC dénonce « les bandes afro-maghrébines venues de France qui lancent des raids contre le canton de Genève » et affirme qu’il y a incompatibilité entre la loi musulmane et le droit suisse (égalité homme/femme, droit de conscience…), sur une thématique proche de celle développée en France par Bernard Antony dans son ouvrage L’Identité nationale et l’Islam.

 

Les résultats de la votation ont été salués par l’extrême droite dans un certain nombre de pays, en particulier en France par le FN. Gollnish a vu dans cette nouvelle loi « une mesure de bon sens » et Marine Le Pen a salué « une grande victoire du peuple contre les élites », affirmant que « le vote suisse correspond à ce que propose le FN pour la France ». Pour la fraction dure de l’UMP regroupée dans le collectif « la Droite populaire » de Thierry Mariani, nos amis suisses nous ont donné « une vraie leçon de bon sens. Ils ont réaffirmé leur volonté de voir rétablir la double peine ». Un exemple pour la France qui doit dans ce domaine « changer sa législation ». L’exemple suisse fait ainsi des émules, et aucun pays européen n’est à l’abri de la contagion helvétique.

L’Europe centrale et orientale

 
La chute du Mur de Berlin et la construction de l’Union européenne ont ramené sur le devant de la scène politique des droites radicales et ultras nationalistes. Un nationalisme à la fois contre les étrangers (ex-URSS et Union européenne) et contre les minorités (Rroms) s’est exprimé avec l’ouverture des frontières. Ces droites radicales sont beaucoup plus marquées par le poids de l’histoire (traités de paix de 1919-1920). Le poids du passé ouvre la porte à l’expression d’un ultranationalisme qui repose sur une définition ethnique de la nation : la « magyarité » par exemple, et la réhabilitation du nationalisme comme projet d’émancipation, rétablissant le lien entre peuple, territoire, nation, avec en toile de fond le religieux : « on ne peut pas être Polonais si l’on n’est pas catholique » affirme la radio catholique et antisémite, Radio Maryja. L’extrême droite roumaine rêve de « la grande Roumanie », l’extrême droite bulgare dénonce les minorités turques musulmanes et les Rroms.

 

En Hongrie le phénomène est particulièrement inquiétant. Le parti néofasciste, antisémite et ultra violent, Jobbik (mouvement pour une meilleure Hongrie) et sa milice paramilitaire « la Garde hongroise », qui pratique la chasse aux Rroms et aux homosexuels, a obtenu plus de 16 % aux élections nationales et 26 députés.

En Roumanie, le Parti de la grande Roumanie (Romania Mare) a plafonné à 4 % en décembre 2008 et s’est retrouvé exclu de l’assemblée roumaine. Il s’est ensuite allié avec le Parti de la nouvelle génération de Georges Becali pour former une liste commune qui a obtenu 8, 7 % lors du scrutin européen.

 

La Bulgarie, sa voisine, voit s’installer sur la scène politique le parti Ataka, nationaliste, antisémite, antiRroms. Ataka a frôlé les 12 % aux européennes et a 21 députés au parlement bulgare. Pendant une courte période en 2007 Ataka a participé au groupe Identité, Tradition, Souveraineté (ITS) présidé par Bruno Gollnish au parlement de Strasbourg. Ataka a également coopéré avec le FPÖ autrichien.

 

On peut encore mentionner le Parti du droit en Croatie (un député au parlement croate), ou le Parti radical en Bosnie qui a obtenu deux sièges. En Lettonie, le Parti pour la patrie et la liberté a huit élus. En Slovénie, le Parti national slovène a cinq élus et se revendique de l’Etat clérical et autoritaire défendu par Mgr Tiso en 1938. Même situation en Slovaquie où le Parti national slovaque a neuf élus. La palme revient à la Serbie où le Parti radical serbe de Vojislav Seselj est la deuxième force politique du pays avec près de 30 % des voix et 78 sièges au parlement serbe.

La Grèce est elle aussi touchée par la tentation nationaliste, l’exacerbation de la xénophobie étant une des conséquences visibles de la crise qui frappe le pays. Certains groupes ont organisé des Comités de défense et organisent des croisades antiétrangers, en particulier contre les Afghans.

 

Cette situation a commencé à se traduire lors des campagnes municipales, par le slogan « Faisons qu’Athènes soit à nouveau grecque hellène ». Le Laos (le Peuple), créé en 2000 par George Karatzaferis, est la principale force d’extrême droite (5 députés). Il entend défendre la nation, la religion, le peuple grec, la culture grecque, l’identité grecque contre la déshellinisation… Alliant xénophobie et racisme, accusant les étrangers d’être responsables du chômage, de la criminalité, il entend profiter de la crise du bipartisme et tirer profit des tensions gréco-turques, de la question de la Macédoine, de l’immigration albanaise. Il soutient la Serbie orthodoxe. Au printemps 2000 il a participé à la manifestation contre la disparition de la mention de l’origine religieuse orthodoxe sur les papiers d’identité.

 

Il y a une sorte d’osmose entre le Laos et l’Eglise orthodoxe. La place du religieux orthodoxe est une revendication instrumentalisée par l’extrême droite, alors que les autres formations politiques sous-estiment la question identitaire dans un pays où se développent l’islamophobie face à la Turquie et la stigmatisation des minarets. Le Laos entend incarner la vraie droite et fait preuve de pragmatisme politique au nom de l’intérêt national, entamant ainsi un processus de « respectabilité », aidé en cela par l’absence de « cordon sanitaire ». Si le Laos réussit à associer problèmes économiques et question identitaire, une nouvelle phase de développement peut s’ouvrir pour l’extrême droite grecque.

 

Sombres perspectives

 
L’Europe telle que la conçoit Bruxelles n’a pas débouché sur une Europe unie, mais a provoqué la montée des nationalismes. Elle a surtout mobilisé l’extrême droite sous toutes ses formes et, dans certains pays, favorisé son succès. La question de l’identité nationale et de la souveraineté, la protection des frontières, la présence des immigrés, et surtout de l’islam dans l’espace public, jouent un rôle déterminant dans cette percée de l’extrême droite. L’immigration est stigmatisée comme une menace pour les identités nationales, territoriales, linguistiques. L’islamophobie associée à la xénophobie conduit l’extrême droite à préconiser une politique de bunkerisation, de fermeture des frontières, d’application de la préférence nationale contre « l’immigration-invasion » et d’un combat pour « l’identité et la survie du peuple » (Pierre Vial, président de Terre et Peuple, association identitaire).

 

Nouvelle croisade et Reconquista sont de nouveau à l’ordre du jour. Citoyenneté et nationalité se voient réduites à des catégories ethniques ou religieuses. Le nationalisme, tel qu’il apparaît aujourd’hui dans certains pays européens, membres ou non de l’Union européenne, a donc pour cible l’immigration, l’islam (le « totalitarisme du xixe siècle »), le multiculturalisme et le spectre du communautarisme qui lui est lié. L’ennemi commun est ainsi clairement désigné. La montée des partis d’extrême droite et des partis populistes se nourrit de replis identitaires. L’apparition significative de ces partis dans le paysage politique européen, quelles que soient leurs caractéristiques, traduit un profond état de crise à l’échelle du continent.

 

Même si les extrêmes droites n’ont rien d’un bloc homogène, elles sont à l’offensive sur fond de crise généralisée.

Jean-Paul Gautier. Pour s'abonner à la revue Contre temps :

http://www.contretemps.eu/node/56

Sources
Le Monde diplomatique, « Les extrêmes droites européennes à l’offensive », janvier 2011.
L’Histoire, « L’extrême droite, une politique de la haine », hors série, juillet-août 2010.
Visa, vigilance et initiatives antifascistes, 16 juin 2009.
Valeurs actuelles, « Europe, la montée des populismes », 25 novembre – 1er décembre 2010.
Riva Kastoryano, « L’Europe face aux nationalismes », Le Monde, 26 octobre 2010.
Cevipof, « Les extrêmes droites en Europe : le retour ? », Journée d’étude, 5 novembre 2010.

Publié dans Anti fascisme...

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