Transport aérien : la sécurité en question...

Publié le par NPA 06 Ouest

Au-delà de ses causes précises, l'accident du vol AF 447 d’Air France suscite des interrogations quant à la sécurité aérienne. Commandant de bord à Air France, Guillaume Pollard est délégué syndical à Alter (Solidaires). 

 


La déréglementation du transport aérien a-t-elle un impact sur la sécurité ?


Globalement oui, même si c’est de façon indirecte. Par exemple, en 1989, un accident a été symbolique.
Un avion de ligne s’est écrasé près de Dryden (Canada), après avoir décollé les ailes surchargées de neige.
La neige est un phénomène fréquent au Canada et, pourtant, cette grave négligence a été commise par un pilote expérimenté.
Le juge en charge de l’enquête ne s’est pas contenté d’enquêter sur la responsabilité du pilote.
Il est remonté jusqu’au ministère des Transports canadien et a démontré qu’à chaque strate de l’organisation du réseau de transport, des failles existaient.
Il a ainsi établi que, sous l’effet des pressions qu’il subissait, un pilote pouvait être amené à décoller sans déneiger son avion.
Ainsi, quand on remonte l’arborescence des causes, la sécurité ne concerne pas seulement une compagnie en particulier ou un homme, mais l’ensemble du réseau de transport soumis aux contraintes du marché. 


Les économies touchent-t-elles l'entretien?


Malgré l’énorme pression à la baisse des coûts, l'entretien des avions s'effectue conformément à la réglementation.
C’est vrai aussi bien pour les grandes compagnies que pour les compagnies low cost.
Des événements comme l’accident du Concorde, en juillet 2000, dû, entre autres, à la perte d’une pièce mal montée sur un avion de Continental Airlines, ou l'avion d’Air transat, en 2001, qui a réussi à se poser d’urgence aux Açores en planant à la suite d'une panne de carburant causée par une erreur de montage technique restent avant tout des exceptions en la matière.
Faire des économies sur l'entretien reviendrait à prendre de trop gros risques en termes de sécurité des vols.
En revanche, les compagnies rechignent souvent à profiter des améliorations techniques – pneus Michelin plus résistants sur le Concorde, calculateurs de performances embarqués, système atténuateur de bruit dans certains cockpit, etc. – proposés par les constructeurs,  car générant d'importants surcoûts. 


Quels autres éléments peuvent impacter la sécurité ?


La sécurité est mise en cause par l’ambiance générale qui règne au sein des compagnies aériennes.
On fait souvent l’impasse sur l’environnement où travaillent les salariés, en particulier les pilotes qui subissent de nombreuses pressions de tous ordres.
D'un point de vue social, nous venons de passer à Air France, par exemple, une année exécrable.
Des intervenants autour des avions ont été supprimés, les prérogatives des CHSCT des personnels navigants sont remises en cause, le droit de grève est restreint, un commandant de bord a été abusivement licencié, des avantages acquis sont discrètement supprimés. Toutes ces mesures sont sous-tendues par l’amélioration de la productivité et touchent la maintenance, la préparation des vols et le vol.
Les compagnies affichent la sécurité au fronton de leur édifice, car elles la savent fondamentale pour leurs clients mais, par derrière, elles exercent une forte pression pour augmenter la rentabilité.
Elles font essentiellement porter la sécurité sur les pilotes, sachant qu’ils seront de toute façon bien obligés de gérer les défaillances.
La surcommunication sur les économies de carburant à réaliser est un exemple de pression impactant directement la sécurité, le pilote ayant la responsabilité du choix de la quantité à embarquer.
Prétextant d'une modernité sans cesse croissante des systèmes de pilotage, on diminue le coût de la formation en réduisant les heures de vol d'instruction.
Les compagnies promeuvent notamment  l’autoformation par CD-ROM à domicile, impliquant de fait l'absence de partage d'expériences des pilotes, pourtant essentielles à cette profession.
Parallèlement – ce qui pourrait paraître anodin –, les visites médicales n’ont plus lieu qu’une fois par an à partir de 40 ans et sont moins contraignantes, en application de directives européennes.
De fait, un pilote de plus de 40 ans a plus de chance qu'avant d'être en incapacité d'assurer ses fonctions en vol pour raison pathologique.
Et nous pourrions aussi évoquer la problématique des échanges « salaire contre actions » en vigueur à Air France depuis 1997, qui peuvent, chez certains, introduire des contraintes inconscientes dans la gestion économique du vol…
Si la sécurité aérienne s’est améliorée ces dernières décennies, aujourd’hui, nous sommes arrivés à un palier, et il est indispensable de faire mieux en desserrant l'étau de la pression financière sur tous les acteurs du transport aérien. 


Propos recueillis par Jacques Radcliff.

Publié dans Social - société...

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