Punaise, c’est diabolique ! Aguirre nous a quittés...

Publié le par NPA 06 Ouest

Notre camarade Léonce Aguirre nous a brutalement quittés le 29 septembre.
Membre du CE et du CPN, il était aussi un pilier de l’équipe de Tout est à nous ! et de la NSPAC.


Depuis la disparition brutale d’Aguirre, c’est par dizaines de messages que vous avez fait part, non seulement de votre émotion et de votre peine, mais aussi de votre sentiment d’injustice et de révolte face à l’insupportable.


Merci à toutes celles et à tous ceux qui se sont manifestéEs, à celles et à ceux qui peuvent être présentEs aujourd’hui aux côtés de ses proches : sa maman, Mme Noverraz, Sophie sa compagne, son amie, sa camarade, sa complice de toujours, la mère de leurs deux enfants, Simon son fils, Léa sa fille, et Cynthia, sa nouvelle compagne. Merci aussi à toutes celles et à tous ceux qui n’ont pu se déplacer mais ont exprimé leur présence en pensée à nos côtés.

Daniel Noverraz, que tout le monde connaissait sous le diminutif de Nono ou plus souvent sous le nom d’Aguirre, le nom qu’il s’était choisi, nous est arrivé de Suisse, où il militait déjà à la Ligue marxiste révolutionnaire, organisation liée à la ive Internationale comme la LCR, au milieu des années 1970.


De ces années jusqu’à aujourd’hui, il a été de tous les combats, de toutes les mobilisations, mais aussi de tous les débats, exerçant les plus hautes responsabilités dans la LCR et dans le NPA.

Mais c’est à Montreuil, où il a vécu tant d’années avec Sophie, Simon et Léa, qu’il gardait un contact étroit avec la réalité, au plus près des luttes sociales et politiques locales. D’ailleurs, bien peu se seraient doutés que derrière le militant d’extrême gauche montreuillois, le plus connu de toutes et de tous, se cachait le plus français des Suisses !

Mais l’histoire d’Aguirre, que j’appelais affectueusement Léonce, ne saurait se réduire à la vie interne de la Ligue. Certes, il a beaucoup fait pour l’existence d’une presse révolutionnaire, indépendante, ne mégotant jamais pour prendre sa part, et plus que sa part, dans des taches dites organisationnelles, des souscriptions à toutes les campagnes électorales (sans avoir le droit de vote, encore une singularité qui participait au charme du personnage). Il était tout le contraire d’un aristo ou d’un apparatchik hautain, il a toujours refusé toute séparation entre les taches dites techniques et l’animation politique.
Militant, mais à part entière.

Ce que je retiens de lui, ce n’est pas telle ou telle position dans tel ou tel congrès, mais son côté non dogmatique, son refus du sectarisme, son ouverture d’esprit et sa disponibilité à être bousculé sur tout ce qui avait été, la veille encore, considéré comme une évidence.


Aguirre avait ses convictions, souvent chevillées au corps, mais loin de voir le doute comme une entrave à l’action, il acceptait de le prendre comme oxygène de l’intelligence.


Aguirre, ce n’était pas un militant trotskyste au sens classique du terme ; plus exactement il était bien davantage, tout simplement un marxiste révolutionnaire, prenant ce qu’il y avait de mieux dans cette tradition, en premier lieu la démocratie interne, sujet sur lequel il ne transigeait pas. Il n’a pas hésité bien avant tout le monde à condamner la répression à Cronstadt (refusant la logique de la tragique nécessité). Il a participé également avec certains d’entre nous (bien peu au début) à une lecture critique de ce que nous appelions les États ouvriers comme l’URSS ou les pays de l’Est. Je n’oublie pas non plus avec quelle pertinence il a perçu la place que devait occuper l’écologie dans notre programme comme dans notre activité concrète.

Outre cette disponibilité intellectuelle, Aguirre possédait aussi sa manière de débattre où le maître mot était le respect, rien ne l’attristait plus que les ruptures personnelles consécutives aux désaccords politiques, pour lui rien ne justifiait le silence et la distance. Son leitmotiv : ne jamais insulter l’avenir, garder le contact humain, militant. Pour lui, cette exigence ne se réduisait pas à sa sphère partidaire ou partisane mais englobait toute la galaxie radicale.
Si Aguirre était capable de coups de gueule – et il l’était –, c’était sans conséquence, l’humain, l’amitié reprenaient le dessus.

Mais surtout, il s’épanouissait à chaque mobilisation ou rendez-vous altermondialiste, même si, pour une raison que j’ignore (mais je ne suis pas le mieux placé pour lui reprocher), il a toujours refusé de chercher à maîtriser une autre langue que le français ! Plus qu’attentif, à l’affût de toute nouvelle expérience, il suivait tout ce qui se passait dans la gauche anticapitaliste et antilibérale en Europe. Pour autant, bien qu’internationaliste convaincu, il avait gardé un petit côté pro-Suisse quand il parlait de SolidaritéS (ou moins sérieusement quand, pour me taquiner, il m’agitait sous le nez le journal où l’on annonçait une nouvelle victoire de Roger Federer, tennisman suisse. J’ajouterai que le Luxembourg, où il retrouvait régulièrement Cynthia, s’était vu hissé au rang de grande nation sportive grâce aux frères Schleck, n° 2 et n° 3 en vélo dans le dernier Tour de France).
Léonce c’était aussi cela, tout sauf un curé rouge.

Pour lui, militer c’était vivre, et la vie il l’aimait, il aimait boire, manger (il me parlait pour me faire saliver des talents de cuisinière de sa maman), disponible pour toute rencontre, prêt à tout pour peu que ce fût un moment convivial.
Quand je suis tombé malade, à chacune de ses visites, mes bouteilles se souviennent de son passage. Je ne pourrai jamais plus le remercier pour tout le bien que me faisaient sa venue régulière, ses sourires et la chaleur de ses mots.

Voilà, il vient de partir, je vais regretter son caractère bordélique qui lui faisait perdre son trousseau de clefs au moins dix fois par semaine et s’écrier « punaise c’est diabolique ». Je vais regretter les repas pris ensemble qu’il concluait par son petit verre de prune, nos longues discussions politiques, nos interrogations, nos doutes, et ses longs silences qui laissaient transparaître son extrême pudeur le concernant. Nous allons tous regretter cette infinie gentillesse, cette absence d’arrogance, ce respect de tout le monde, jamais une insulte, jamais un propos homophobe ou misogyne.

Léonce c’était un type bien, extra, super. Un fils, un papa, un compagnon dont tous ses proches peuvent être fiers.
Aguirre se sentait fatigué, la situation dans le NPA, les départs successifs de proches, tout cela lui pesait. Il avait décidé de prendre au sérieux son état de santé et m’avait demandé de lui trouver un médecin dans le 13e, quartier où il habitait. Ce que j’ai fait. Au téléphone, il s’est voulu rassurant en me disant qu’il avait pris rendez-vous et qu’il allait être suivi. Je l’ai vu le dimanche 25 septembre, lors de la réunion nationale de la direction du NPA. À ma question « comment vas-tu ? », il m’a juste répondu « je suis entre des bonnes mains, je vais me soigner », suivi immédiatement d’un « et toi comment ça va ? ». Jusqu’au bout cette pudeur, cette discrétion, cette économie de mots le concernant et tout de suite cet intérêt, cette disponibilité pour l’autre.


Je l’ai eu une dernière fois au téléphone en début de semaine.

Après, comme pour vous tous, le temps des pleurs est venu.


Aguirre n’aimait pas les images guerrières du style « un militant ne pleure pas, il serre les poings », au contraire il aimait citer le Che : « il faut s’endurcir, mais sans se départir de sa tendresse ».


Alors il faut se laisser envahir par cette tristesse qui nous submerge face à la brutalité injuste des hasards de la vie.
Cette saine colère qui l’a animé, elle est nôtre et non celle des dieux qui, s’ils existaient, auraient beaucoup de comptes à nous rendre.


Aguirre attachait beaucoup d’importance à être présent à chaque départ d’une ou d’un ami. Il nous disait « il faut savoir accompagner ses morts », il aurait été heureux de nous savoir avec lui. Maintenant, que chacune et chacun ferme les yeux et se souvienne en pensant à notre camarade que le plus beau des tombeaux c’est la mémoire des vivants.
Je suis certain qu’Aguirre aurait voulu qu’à nos larmes succèdent rires et embrassades, après la cérémonie nous nous retrouverons tous ensemble pour se souvenir de tous les bons moments qu’il a su nous faire partager.

 

Olivier Martin.

Publié dans Vie du NPA...

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